lundi 27 février 2012
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Ce n'est pas donné à tout le monde de suivre la bataille pour la sauvegarde de l'Internet libre. Tous ces évènements se mélangent dans bien des esprits. D'autant que depuis fin janvier, tout va très vite.
Aussi, je vais tenter de vous récapituler ce qu'il en est depuis début 2012.


Vu de chez nous

france netBon, c'est pas nouveau : on a Hadopi, terreur des l'échanges Peer to Peer. Et LOPPSI 2, qui fiche en l'air Internet en France.
Puis notre cher (ou pas) président nous annonçait qu'il partait en croisade contre le streaming (consultation en ligne) illégal, au travers de l'HADOPI.
Résultat concret : le "déréférencement et blocage anticipatif" de la série de sites Allostreaming.com, Alloshowtv.com, Alloshare.com et Allomovie : en plus de l’obligation des principaux FAI français d'exclure l'accès à ces sites sur leur réseau, les ayants droits ont mis en demeure les moteurs de recherches Orange, Bing, Yahoo! et Google d'exclure ces sites dans les résultats de recherche. Avec mention spéciale pour Google, lui réclamant cette censure, non-pas pour la France, mais pour le monde entier !!!
L'histoire n'est pas terminée, car les ayants droit s'acharnent et cherchent à tout prix pouvoir fermer les "sites miroir" sans l'intervention d'un juge.

Peut-être le saviez-vous : le 24 novembre 2011, la Cour de Justice européenne nous à quand-même fait plaisir en faisant un arrêt, interdisant le filtrage généralisé du Net. Celui-ci dit en substance que le filtrage porte atteinte aux droits fondamentaux des citoyens européens.
Du coup, interdit de bloquer un site qui ne soit pas entièrement illicite. Ouf ! Mais l'on peut se demander si cette faveur ne sera qu'exception. Du tout ! La Cour de Justice de l'Union Européenne réaffirme récemment ses propos et interdit d'imposer le filtrage aux services en ligne. Youpi !

Mais que fait la France ? Elle censure... Sur Twitter, plus possible de parodier M. Sarkozy. Sur le Net, l'humour noir devient interdit du moment qu'il concerne la pédophilie. Exemples récents : Piratesourcil (à qui y-z-ont tout piqué) et Lobofakes.
Qui peut juger ces questions morales au nom de tous (enfants, adultes, catholiques, athés, etc.) ?
Quelle est la prochaine étape ? On censure ceux qui protestent contre la censure? Ayawooga va-t-il être bloqué pour l'avoir fait dans ce présent billet ? ...

SOPA et PIPA

wikipedia blackout sopaSi vous surfez de façon journalière, le Net du 18 janvier vous aura peut-être marqué par sa journée noire en protestation contre deux projets de loi américains : SOPA (Stop Online Piracy Act) et PIPA (Protect IP Act). Des sites importants comme Google, Wikipedia, Wordpress, Mozilla, ou encore Flickr ont manifesté leur farouche opposition à ces propositions législatives.
En gros, ces lois "anti-piratage" souhaitent mettre en place des incroyables sanctions en cas de violation de copyright, et l'obligation d'un blocage des sites accusés de "piratage" depuis le sol étasunien (même pour les sites issus de l’étranger). Les textes obligeraient ce blocage aux services de noms de domaine, aux moteurs de recherche, ainsi qu'aux organismes de transactions financières (comme Paypal) basés sur le sol américain.
C'est donc clairement un système de censure national. (États Unis, pays de liberté, qui disaient...) Le problème, c'est que cela touche le Web entier, car les noms de domaines sont gérés en Amérique. Ajoutons que les principaux services présents sur Internet sont basés majoritairement aux USA.
Justin Bieber (remarquez, cela ne serait pas forcément un mal...) risque 5 ans de prison si ces lois passent. Mais sont dans le même cas, les chorales d'écoliers, les auteurs de reprises sur Youtube, ou de vidéos avec un fond de musique copyrighté...

Suite au tollé de l'opinion publique, le 20 janvier, le gouvernement américain suspend le vote de ces projets de loi pour leur révision.

Megaupload

megaupload downLe lendemain de la cyber-manifestation anti-SOPA/PIPA, la galaxie Mega (MegaUpload, MegaVideo, etc.) à été subitement coupé du Net par "la Gestapo américaine" : le FBI. Le fondateur du site (Kim Dotcom) et plusieurs de ses sbires, ont ensuite été arrêtés en grande pompes, en dehors du sol américain (Nouvelle-Zélande) comme des criminels. Car c'est bien ce dont on les accuse : pour avoir (je cite) "mis en oeuvre une entreprise internationale de crime organisé prétendument responsable du piratage massif à l'échelle mondiale d'un grand nombre de types d’œuvres protégées, à travers MegaUpload.com et d'autres sites en relation". Kim risque 20 ans de prison pour cette prétendue "Méga-conspiration" (sic), c'est en gros les deux tiers de la peine d'un violeur récidiviste...

Belle échelle de valeurs que nous présente la justice américaine. Nous voilà maintenant prévenus : est un criminel, toute personne qui permet un partage de fichiers qui lui rapporte un peu de sous, et risque l'arrestation imminente par le FBI, depuis n'importe quel endroit du globe.
Location ou service gratuit de stockage, système d'échange de fichiers... C'est criminel du moment qu'il y a rémunération !
Dans ce cas, il y a du boulot ! Ce genre de site, il y en a des tas !!!

Et chez nous, ce n'est pas le meilleur refuge à ce sujet : notre président approuve largement cette incroyable arrestation, de ceux qu'il accuse de "réaliser des profits criminels" (sic)...
Combien de morts ou de violés au fait ?... Euuuh zéro. Mouais d'accord...

Au fond...

Vous allez me dire : oui c'est un peu trop drastique comme méthodes. Mais cette fermeture est quand-même légitime, MegaUpload était illicite...

Non, MegaUpload n'est pas plus illicite qu'un fournisseur d'accès à Internet. Ce sont certains de ses utilisateurs qui en ont fait le siège d'un certain usage illicite.
Coordonner (aux frais des contribuables) une action judiciaire internationale contre MegaUpload, et en accusant ce service d'activité de piratage, c'est choisir un bouc émissaire parce que l'on ne peut pas s'attaquer à la foule qui est la seule coupable (merci jls5).
Le principe MegaUpload n'a rien d'illégal, et encore moins de (je cite le FBI et notre Président) "criminel". C'est un site de partage, sans discrimination. Vous aviez la possibilité de vous créer sur le Net, un disque dur gratuit, et même disponible pour vos amis. Un tutoriel vidéo qui fait buzz sur MegaVideo pouvait vous rapporter de l'argent. Cela, est-ce illégal ? Est-ce criminel ?
Bien évidemment, cela n'excuse pas la malhonnêteté de la politique commerciale de MegaUpload. Moi aussi je reproche la malhonnêteté de MegaUpload, vis-à-vis des copies d’œuvres. Je lui reproche tout autant que vous d'avoir exploité l'échange de copies illégales pour faire des profits considérables sur le dos des artistes. Kim Dotcom mérite d'être jugé sur ce commerce quelque peu malhonnête.

Mais il y a plus grave : c'est un des sites légaux les plus utilisés qui est fermé au détriment de tous ses utilisateurs. Mais surtout, un site au principe fondamental : un site mondial d'échange libre de données. Or l'échange libre de données sans discrimination, est le fondement d'Internet.
Vous rendez illégal l'échange libre de données, vous rendez illégal Internet. La gravité de l'affaire MegaUpload, c'est celle-là !
Que ce soit Kim Dotcom ou l'Inspecteur Derrick, qui se soit fait coffré on s'en moque ! Ce qui ne nous a pas plu du tout, c'est le fait d'avoir criminalisé Internet et bafoué nos libertés !

fbi censorshipMais les USA ne s'arrêtent pas là : Jotform, un site sans aucun soupçon d'illégalité à été récemment coupé du Net, de la même manière que MegaUpload. Heureusement reconnecté, le site est encore disponible. Mais qui paye le préjudice ?

ACTA

Rappel :
ACTA c'est l'Accord Commercial Anti-Contrefaçon. Idée de départ : la lutte conjointe entre pays émergents et développés contre tout type de contrefaçon. Bonne idée ! Sauf que l'élaboration de ce traité semble clairement des plus mauvaises : tous les grands groupes commerciaux se sont investis et font pression sur cet accord de façon à ce qu'ils en gagnent en puissance. Tenu d'abord secret, cet accord fût mis au jour grâce à Wikileaks. Dénonçant la volonté claire d'éviter tout processus démocratique, l'opinion publique à réagit. Face à cette pression, la transparence fût de mise et le texte s'est vu modifié. Mais il comporte encore actuellement de graves menaces pour plusieurs libertés individuelles fondamentales.
Les pays émergeant se plaignent de ne pas avoir part aux négociations et que les Etats-Unis et l'Europe veulent leur imposer un Traité conçu à leur manière. Sous couvert de lutte pour la propriété intellectuelle (Copyright), le traité atteint le summum de inacceptable, en rendant illégaux les médicaments génériques, ou encore en interdisant toute reproduction autonome de semences agricole.
Bien évidemment, Internet est particulièrement visé par tout ce qui concerne son contenu : le partage devient purement et simplement illégal, et l'utilisateur est d'office présumé pirate, avec des risques de sanctions disproportionnées. Pire : le traité responsabilise les fournisseurs d'accès internet dans un rôle de censure. C'est la crise : on privatise la Justice... Adieu liberté d'expression.
Et même si ACTA se voyait rendu inoffensif, nous ne sommes pas à l'abri de modifications postérieures. Son vote au Parlement Européen est une carte blanche aux multinationales !



De nombreux pays se sont investis dans l'accord ACTA par leur signature. Et la ratification de ce traité à été entamée par 22 pays de l'Union européenne (dont la France) à l’écart de l'opinion publique. C'en était trop, le rapporteur principal de l'accord au Parlement Européen (M. Kader Arif), démissionne. Il dénonce les nombreuses irrégularités dans l'ensemble de ce processus, qu'il qualifie de mascarade.
L'ambassadrice de la Slovénie au Japon jette le trouble en regrettant et s'excusant publiquement d'avoir signé ACTA, qualifiant son geste de "résultat d'une négligence civique". Le 28 janvier, une pétition américaine réunissant en un temps record plus d'un milion et 25 000 signatures contre ACTA, est déposée sur le site de la Maison Blanche.
Après ces évènements et les protestations civiles qui ont fleuri un peu partout, le 3 février, la Pologne suspend son processus de ratification qu'elle avait engagée. Le lendemain, son premier ministre, Donald Tusk, donne raison aux opposants à ACTA et évoque la possibilité de son rejet par son pays.
L’Allemagne, quand à elle, a mis en pause la signature de l'ACTA le 9 février, préférant laisser la situation se décanter au parlement européen avant de prendre une décision.
actaLa République Tchèque à pris la même direction le 6 février : gel du processus de ratification afin de mesurer l'impact de l'ACTA sur la législation nationale. Et la Roumanie semble avoir la même intention, souhaitant des "consultations publiques" avant la ratification, évoquant le refus du traité si le parlement y est opposé (source).
La Lettonie attend aussi plus de clarification avant de continuer.
La Bulgarie veut un consensus au parlement européen avant d'accorder définitivement ou retirer son engagement pour ACTA.

Sur ces retours de veste, Le président du Parlement européen, Martin Schulz, explique à la télévision allemande que le document "n'est pas bon sous sa forme actuelle", ajoutant que l'équilibre entre la protection du copyright et les droits individuels des internautes "n'est que très insuffisamment ancré dans le présent accord".
La Commission européenne comprend peu la bataille médiatique, elle qui assurait depuis le début que l'ACTA ne modifie en rien le droit communautaire. La Commission diffuse alors un document censé rétablir la vérité sur l'ACTA. (Source.)
En accord avec ce discours, le gouvernement du Luxembourg renouvelle son engagement pour ACTA le 14, dans un communiqué du ministère de l'économie et du commerce extérieur.
Mais rien est joué, à entendre les déclarations du président du parti populaire européen (PPE), qui annonçait "ACTA c'est fini", avant de tempérer ses propos.
L’Autriche n'a pas l'air d'oublier son droit de véto en défaveur de l'ACTA... Même chose pour la Slovénie.
Le 17, le premier ministre polonais Donald Tusk, s'engage franchement en demandant par écrit de ne pas soutenir ACTA, aux chefs des partis PPE et à la direction des formations nationales affiliées au mouvement européen.
Enfin, voyant qu'elle ne parvient pas à persuader, la Commission européenne demande à la Cour de Justice européenne de confirmer que l'ACTA ne limitera pas la liberté d'expression et d'information en Europe.

Affaire à suivre de très près ! Pour info, le débat du Parlement européen sur Acta débutera le 1er mars...

Mobilisation civile

Manifestations

manif anonLes manifestations ne se sont pas déroulées que sur Internet et ont débordé dans les rues :

En Pologne, Varsovie comptait plus de dix mille manifestants anti-ACTA, le week-end du 22 janvier.
Le 28 janvier, Paris rassemble entre 300 et 400 manifestants contre ACTA. Manifestation soutenue dans plus d'une trentaine de grandes villes françaises : une centaine de personnes à Bordeaux, une quinzaine pour Nîmes, Chalons ou Poitiers.
Le 11 février, la mobilisation reprend (dans 40 villes en France) et le nombre de participants ne cesse d'augmenter.
Le 25 février, la police dénombre 650 manifestants à Paris, plus localement on en compte 150 à Lille, 200 à Rennes, 100 à Lyon, 50 à Marseille et 200 à Toulouse (source).

Cyber-intimidation

Des anonymes ont réalisé plusieurs attaques par Internet, dont certaines ont été plutôt spectaculaires et sérieuses :

Dans le quart d'heure qui a suivi la fermeture des sites de MegaUpload, le site du département de la justice américaine (DoJ) est rendu indisponible, et avec lui, celui d’Universal Music : principal major du secteur qui lutte contre le groupe Mega.
Peu de minutes après, c'est au tour des sites de la MPAA (représentante de l’industrie cinématographique américaine) et de la RIAA (représentante de l’industrie du disque aux USA) d'être surmenés (lenteurs et indisponibilités temporaires). Sans oublier copyright.gov qui n'a pas été épargné par cette vague d'attaques.

expect usLe FBI fait tout son possible pour maîtriser et dissuader ces attaques anonymes de la part d'Anonymous et Lulzsec.
Face à ces pressions, le 3 février, des anonymes ont publiés l'enregistrement d'une conversation de 17 minutes entre des agents du FBI et de Scotland Yard. Prouvant leurs capacités d'infiltration et l'active lutte des plus hautes autorités contre ces mouvements populaires.

On était déjà habitué au discours intimidateur des adeptes d'Anonymous. Mais il semble qu'au cours de ces dernières attaques, le ton des activistes anonymes ait sérieusement monté d'un cran.
La forme des attaques et les menaces écrites font preuve d'une virulence encore jamais vue.
"FAITES PASSER CETTE POUBELLE ET NOUS DÉGAGERONS TOUT L'INTERNET CORPORATE [...] Si SOPA/PIPA/ACTA passent, nous allons mener une guerre implacable contre l'internet corporate, détruisant douzaines sur douzaines de sites gouvernementaux et d'entreprises." (source)
Sur Twitter, on y lit la même menace :
Megaupload à été pris sans la loi SOPA. Maintenant, imaginez ce qu’il arrivera si cela passe. L’internet que nous connaissons prendra fin.

Ajoutons à cela les attaques, moins violentes et plus désorganisées, semblant illustrer cet esprit de révolte et de désobéissance civile qui gagne de plus en plus l'opinion publique :
Le site de l'HADOPI inaccessible et retrouvé dans une fâcheuse posture qui menaçait son accessibilité sur les moteurs de recherche.
Le site du gouvernement français qui intègre des messages subliminaux dans l'URL.
Le siège de cette même Haute Autorité taggé.
Les attaques d'intimidation en Pologne.
Ou encore les attaques contre le site du parlement européen...

Notes :

Oui, mon billet est trop long. Je vous aurais bien fait un podcast (vidéo), mais on ne peut pas mettre de lien hypertexte sur des paroles...
J'espère néanmoins qu'il vous aura plu, et aidé à clarifier tous ces événements mal médiatisés.

Si vous avez des précisions à apporter, je me ferai un plaisir de les publier.
A bientôt.

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